Pourquoi le risque pandémique n'est pas assurable

DK-LesEchos-Pandemies non assurables

Denis Kessler, PDG de SCOR, explique dans une tribune publiée par Les Echos que "si le marché de l'assurance ne propose pas de protection contre les pandémies, c'est pour des raisons de fond qui tiennent à la nature même du risque".

La crise sanitaire a mis le sujet de l'assurance des pertes d'exploitation des entreprises en situation de pandémie sous le feu des projecteurs. Selon certains, les assureurs, en ne proposant pas de protection contre ce risque, feraient preuve de « mauvaise volonté ». Cette affirmation est ubuesque. C'est en assurant que les assureurs créent de la valeur ! Si le marché de l'assurance ne propose pas de telle protection, c'est pour des raisons de fond qui tiennent à la nature même du risque. De fait, les conséquences économiques d'une pandémie sont non assurables. 

Premièrement, alors que l'une des conditions de l'assurabilité, qui repose sur la mutualisation des risques, est que tous les sinistres ne se produisent pas en même temps, le risque de pertes d'exploitation en cas de pandémie est sériel : quasiment tous les agents économiques sont touchés simultanément. Cela découle de la portée régionale et même souvent nationale des mesures prises par les pouvoirs publics - confinements, couvre-feux, fermetures administratives… - qui affectent des pans entiers de l'économie. 

Les assureurs n'ont pas la capacité d'absorber un tel cumul de sinistres. Ce caractère sériel est d'autant plus marqué que, le risque pandémique étant global, il ne connaît pas les frontières. La diversification géographique des portefeuilles de risques est inopérante et aggrave le cumul de sinistralité pour les (ré)assureurs globaux. L'exposition peut atteindre plusieurs points du PIB mondial. 

Deuxièmement, le risque de pertes d'exploitation liées à une pandémie, plutôt que d'obéir à des « lois de la nature », est largement non modélisable et endogène. Il dépend très largement des mesures spécifiques mises en oeuvre par les pouvoirs publics pour enrayer la diffusion du virus. Les pertes d'exploitation subies par les entreprises sont principalement consécutives à ces mesures qui in fine ont limité ou arrêté l'activité. 

Or ces décisions administratives ou politiques sont non modélisables. Le fait que les mesures prises face à la pandémie de Covid-19 sont très différentes d'un pays à l'autre - alors que ces derniers sont confrontés à des situations similaires ! - en atteste. Cette incertitude radicale et irréductible rend l'évaluation du risque et le calcul de la prime d'assurance impossibles. 

Troisièmement, la dernière raison de non-assurabilité de ce risque tient à de possibles phénomènes d'antisélection et d'aléa moral. L'antisélection est l'effet par lequel seuls les agents économiques les plus exposés s'assurent, ce qui réduit l'effet de mutualisation. En l'espèce, seules les entreprises des secteurs les plus touchés - hôtellerie, restauration, tourisme… - achèteraient une protection (sauf à ce qu'elle soit obligatoire, ce qui poserait des questions d'acceptabilité). 

Celles appartenant à un secteur épargné - par exemple l'e-commerce - n'auraient aucun intérêt à s'assurer. L'aléa moral est l'effet par lequel le risque est augmenté par une modification du comportement des agents économiques dès lors qu'une assurance joue le rôle de filet de protection. 

En l'espèce, la couverture du coût du confinement par des tiers (les assureurs) créerait un problème d'aléa moral manifeste au niveau des pouvoirs publics, qui n'assumeraient plus le coût économique des décisions qu'ils prennent alors même qu'ils décident des voies et moyens pour faire face à la crise sanitaire et qu'ils sont in fine responsables de sa gestion ! 

Une telle situation pourrait inciter les pouvoirs publics à mettre en oeuvre des mesures plus coûteuses économiquement… 

Les garanties pertes d'exploitation figurant dans les contrats d'assurance sont dans la quasi-totalité des cas liées à des dommages matériels Les conditions d'assurabilité sont alors réunies : les sinistres ne se produisent pas tous en même temps, le risque est largement exogène et modélisable, l'antisélection et l'aléa moral sont contenus. Dans de rares cas, des contrats ont pu prévoir clairement la couverture des pertes d'exploitation en cas de pandémie. Pour ces contrats, qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : il faut les honorer. Si les contrats sont imprécis ou ambigus, il faut que le juge ou le médiateur tranche. 

Le risque de pertes économiques en situation de pandémie présente des caractéristiques similaires au risque de dommages aux biens en situation de guerre : cumul des expositions, limites à la diversification, caractère non modélisable, rôle des décisions politiques et aléa moral. Le risque de guerre n'est pas assurable, et cela fait longtemps que la quasi-totalité des contrats d'assurance comportent une clause indiquant que les dommages du fait d'actes de guerre ne sont pas couverts. 

C'est la même raison pour laquelle la quasi-totalité des contrats d'assurance ne couvrent pas les pertes d'exploitation en cas de pandémie. Dans les deux cas, seul l'Etat peut prendre en charge les conséquences économiques d'une crise d'une telle ampleur, via des mécanismes de redistribution qui en étalent la charge sur l'ensemble des agents économiques, et même sur plusieurs générations. Il n'est donc pas surprenant qu'à ce jour aucun pays ne soit arrivé à mettre au point un mécanisme de prise en charge par l'assurance. Il ne s'agit pas de mauvaise volonté de la part des assureurs, mais d'impossibilité technique et économique. 

 

Lire l'article dans Les Echos

 

 

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